Correspondance :
Textes : Yvon Bohers.
15 planches - Chantal Tichit - graphites, aquarelle, collage - 2006
Edité en portfolio, encore disponible sur demande par email - 50€
Passé le bouclier
Chacun peut assister à la métamorphose.
Ce qui semblait trapu, lourd,
débordant de sciures,
confus, se fend,
volatile, délétère
et à peine attaché par des rubans
et des exclamations,
papillotes affolées qui signalent les frontières
entre les hauts le coeur,
petits carrés de cris,
filasses
et les traces d’organes.
Ici battait le sang du monde.
Dedans, dehors.
Alors, à quoi je sers
avec mes dents, ma langue,
mes esquisses de gestes,
je t’embrasse
et puis, non, tu sonnes creux ce soir,
je te laisse filer entre mes interstices,
la colle en moins
et la filasse qui craque.
J’avais promis de refaire tous les noeuds,
voiles défaites,
comme au large,
corsage ouvert.
L’air, la mélasse, les environs qui fluent,
une marée peut-être,
imperceptible pour les autres
habitués à charrier les vêtements,
les linges encore humides de la dernière lessive,
la pluie
sans ses jardins d’odeurs,
la pluie piétonne,
la tête basse,
indifférente à tous les éventrés
qui supplient qu’on les couse.
Plus violent est le cri,
plus lourdes les bâches et tous les câbles
qui pendent à leur basques.
Qui pourrait supporter le ventre
sans la peau,
ventre lesté,
la peur,
la pluie qui provient de partout,
la houle,
les balises bousculées par l’alcool,
le ressac
et son bruit de sac qui se froisse,
les reflets qui craquellent,
l’haleine,
derrière l’haleine, tout un tohu-bohu bavard,
des maisons
et des casiers munis de nasses.
Le crustacé s’agace.
Rendre vie en vitrine,
dépouiller l’oiseau de son fuselage,
ce sera long
comme la nuit peut l’être,
ôter les sabretaches,
les brodequins, les brandebourgs,
les boutons inventés pour éviter le pire,
la cire, la molesquine,
trouver enfin la bourre qui fait le mannequin.
A travers les réseaux
(le cancer est multiple
et mange même les larmes),
le long de toutes ces fausses douceurs,
contre les indications,
les trajets et les signes,
à cet instant précis,
parvenir jusqu’à l’aine.
Par ici, l’étal,
pour tenir à distance les yeux bouffis,
le chiffon du plexus en boule dans le main,
les tremblements à naître,
l’embarcation sans amarres,
le tournis
Par ici, la vitrine,
ses crocs, ses cintres,
les viscères ahuris de pendre à découvert,
les saignements du vent,
les bruits dans les artères,
tout un emboutissage des sanglots sans la chair.
La digue du verbe longtemps retenu.
Pattes d’oies des sourires.
Le souffle au plus profond puisé,
la pompe se dérègle
et les membranes ignorent enfin ce qu’elles
contiennent.
Glissement,
ondée soudaine,
le masque se dégrade par l’extase.
Les baisers perdus,
fanfreluches en vrac.
Atelier de couture.
Les tissus avachis.
Son doigt lisant les vergetures,
membres à découper selon les pointillés.
Il est temps qu’elle laisse sa trace
sur tout ce corps désaffecté.
A mi-chemin
entre l’ébullition des nausées
et la boue des talons,
entre la pluie qui monte
et les difficultés,
ce poing planté
et qui, de surgeons en épines,
s’apprivoise et s’attache.
A jeun, l’eau trouble du giron,
la vie au bain-marie,
les bras entre les bras du ventre,
joue à l’écoute
et la paume concave,
frissons dessus, frissons dessous.
Le point vélique
exact
ici, la force de la respiration.
Après ses mines de paresse,
le corps pivote,
frémit
et prend le large.
Le corps debout.
Debout, on est plus lourd,
on sait le poids de chaque organe,
du chagrin qui s’incruste.
Debout, on ne peut pas rester tranquille.
Collision des entrailles,
la confusion des genres
et l’épicentre du sanglot
qui hésite,
bord de faille, blessure,
un peu de rouge à lèvre,
signe pour chacune des balises
D’entamer lentement sa dérive.
Le centaure a perdu le sens du manège,
il chevauche ses tripes,
il répète sans cesse ses rêves de vigie :
Jadis,
j’avais du fil à coudre les enfants,
des lisières communes,
des accolades, la nuit,
j’avais moins peur.
Sens l’espace entre nous,
la fuite,
l’espace, le même et qui grandit,
là notre corps à cru, parfait
a cru,
a pris corps en dépit du bon sens
et parfois on se dit sans limite
et puis a décru
et confisqué l’espace,
son poids accru, il semble,
pourtant sans nous.
Ainsi laisse t’on sa main dans la glaise
connaître les formes à l’envers,
en créer,
à l’envers.
Parfois, ensuite,
on ose toucher une autre main.
Poser une caresse par-dessus l’autre
à plat
puis, transparente, la dernière, peut être.
Le sexe n’écorche même pas le tissu,
les restes d’une rage, en noir,
le tablier empesé par les pleurs
effleure à peine le ventre.
Le garrot,
la colère qui ne s’émiette pas,
les fibres en se figeant s’engrossent
d’amertume.
Et que l’amer est dense !
La houle
et dans ses creux les paumes estropiées.
A trop la retenir
on lie les mains entre elles,
les gestes avec les gerbes
et la respiration vers la buée, vers la glace,
au ventre un catafalque
cousu avec le froid.
Eplucher sous le zest des débris de coutures,
des restes de sommeils.
Plus près si c’est possible,
dans les suçons du sang
qui vient,
qui exagère, bègue et balbutiant,
le sang,
bavard en crue,
dehors,
éblouissant.
Lente à bouger vers la ceinture de l’eau.
En apnée, la distance dépend de l’agonie des
lèvres.
Sous le plexus
les poches pleines de l’angoisse,
les mains lâchent soudain.
Plus rarement
on suit
des fruits qui ont perdu leurs peaux
et qui glissent vers les abysses.
Planche 15 - Collection particulière